Jadis berceau de beauté naturelle et de vie maritime intense, la baie de Hann est aujourd’hui une zone sinistrée. Ses eaux sont devenues noires, épaisses et suffocantes. Le sable est submergé de plastique, de débris en tous genres et de stigmates d’un écocide au ralenti. Et dans ce chaos, un message émerge : celui d’une mer qui crie… mais que plus personne n’écoute.
Ce qui fut l’un des joyaux du littoral ouest-africain est désormais un concentré de négligences humaines. Les industries installées dans les environs rejettent leurs eaux usées sans traitement. Les canalisations débordent en pleine mer. Les populations riveraines, parfois résignées, utilisent la plage comme dépotoir faute d’alternatives. Résultat : un écosystème dévasté, une biodiversité effacée et une qualité de vie dégradée.
« Ce qui se passe ici est le fruit d’un dialogue de sourds », affirme Christian Faye, Secrétaire exécutif de l’organisation GAIA. « Les industries ne respectent pas les normes. Les citoyens n’ont plus confiance. Les autorités tardent à agir. Et pendant ce temps, la mer absorbe tout… jusqu’à saturation.»
Face au mutisme ambiant, un artiste a décidé de faire entendre autrement la détresse de la baie. Serigne Gorgui Mbaye, sculpteur engagé, a installé en bord de mer deux immenses oreilles en métal, hautes de deux mètres, tournées vers l’océan.
« Cette œuvre est une alerte. Elle dit : écoutez. Écoutez la mer, écoutez la nature. Ce n’est pas juste une sculpture, c’est une invitation à entendre ce que nous avons décidé d’ignorer », explique-t-il.
Ces « oreilles géantes » deviennent un symbole. Un appel à la conscience, à l’engagement, à la reconquête citoyenne de notre environnement.
Plus qu’un cri symbolique, la mer commence à répondre… à sa façon. Les déchets que nous y jetons nous reviennent, portés par les vagues. Bouteilles, sacs plastiques, restes de filets, pneus usés : l’océan recrache ce que la terre lui abandonne. Et ce retour, brutal, nous confronte à notre propre irresponsabilité.
« Si nous n’écoutons pas la mer, elle cessera de nous écouter », prévient Gorgui Mbaye qui ajoute. « Elle nous renverra la violence que nous lui infligeons. »
Tout n’est pas perdu. Des opérations ponctuelles de nettoyage ont permis de retirer des tonnes de déchets de la baie. Des initiatives communautaires naissent. Mais sans action coordonnée, structurée et durable, elles resteront insuffisantes.
« Le salut ne viendra pas que des lois ou des budgets. Il viendra d’abord d’un changement de regard. Il faut revaloriser notre relation à la mer, à la terre, à la nature. C’est une affaire de dignité humaine, pas juste d’environnement », insiste Christian Faye
La baie de Hann n’est pas simplement un lieu pollué. C’est le miroir de notre rapport collectif à la vie, à la nature, à nous-mêmes. Ce qui s’y joue, c’est la capacité d’un pays à se réconcilier avec ses espaces naturels.
Les grandes oreilles de Serigne Gorgui Mbaye ne sont pas là pour décorer. Elles nous regardent. Elles nous rappellent que tant que nous n’écouterons pas les signaux de la mer, nous en serons les victimes silencieuses.