La forêt classée de Mbao, plus grand poumon vert de la région de Dakar, située dans le département de Pikine, est confrontée à de multiples agressions liées à l’urbanisation galopante, les activités de maraichage, l’extraction de sable, etc, qui risquent de compromettre à la longue son existence.
Immatriculée en 1908 durant l’ère coloniale cette forêt a été classée le 7 mai 1940 sur une superficie de 808 hectares.
Elle a fait l’objet d’un classement pour deux objectifs : préserver son écosystème, sa biodiversité et développer l’activité de maraîchage dans la zone des Niayes, une bande côtière qui va de Dakar à Saint-Louis sur une distance de 180 kilomètres.
La bande des Niayes où se trouve la forêt classée de Mbao présente des caractéristiques biophysiques favorables aux productions maraîchères. Elle assure à elle seule près de 80% de la production en légumes frais du pays.
La forêt classée de Mbao se trouve administrativement dans la commune de Mbao et fait frontière avec celles de Keur Massar et Diamaguène Sicap Mbao, depuis la création en 1996 des communes d’arrondissement dans la région de Dakar.
D’une situation de forêt péri-urbaine, elle est progressivement devenue au fil de l’urbanisation de Dakar, une forêt urbaine complètement ceinturée par les villages traditionnels de Boune, Darou Misseth et Médina Kell, au sud par Petit Mbao et Grand Mbao, à l’est par Kamb et Keur Mbaye Fall, et à l’ouest par la Route Nationale N°1 et les bretelles de Petit Mbao et Fass Mbao.
Ces localités en pleine extension disposent de peu de réserves foncières. Ainsi, la forêt fait l’objet de convoitises foncières de la part des riverains, des promoteurs immobiliers et de l’Etat dans le cadre des projets de résolution des difficultés de circulation à Dakar.
Il est 10 heures. Sous un soleil peu clément, nous entamons une visite guidée à partir de la partie sud de cette aire protégée, frontalière à la commune de Keur Massar, en compagnie du capitaine Antoine Thiao, chef secteur des eaux et forêts de Pikine et responsable des opérations du plan d’aménagement de la forêt classée de Mbao et de quelques agents.
A l’intérieur de la forêt, des déchets plastiques et autres objets offrent un spectacle désolant qui n’entame pas l’envie de découvrir les lieux.
Prés d’un point d’eau, un tableau avec cette mention « interdit de se baigner ». « La présence de crocodiles aurait été signalée dans ce coin », selon les agents des eaux et forêts.
Dans ce milieu verdoyant, on découvre plusieurs espèces de grands arbres comme l’acacia mangium, les palmiers, les hibiscus et d’autres plantes. La forêt compte plus de 600 mille variétés de plantes et d’arbres.
Au fur et à mesure, on aperçoit des singes en petits groupes se pavanant dans la nature. Des hommes et des femmes maraîchères vaquent tranquillement à leurs activités.
Du côté de l’avifaune et de la faune, la forêt classée compte plusieurs espèces d’oiseaux migrateurs venus d’Europe et d’horizons divers, des écureuils, des hyènes ou encore des chacals, « une biodiversité qui fait l’objet de plusieurs agressions et empiétements », a déploré, le capitaine Thiao, citant en exemple, l’extraction du sable dunaire, la coupe clandestine de bois ou la réalisation d’infrastructures publiques de transport.
Concernant l’extraction du sable dunaire, des trous creusés par endroits sur le sol illustrent bien l’existence de ce phénomène à l’intérieur de la forêt classée de Mbao. Un constat amer qui s’offre à tout visiteur.
« Une amende de 100 mille francs CFA a été fixée pour dissuader les exploitants clandestins et charretiers qui s’adonnent à l’extraction du sable dunaire. Cette amende a été imposée tout en sachant qu’il n’est pas évident de faire débourser une telle somme à un charretier même si certains arrivent à s’en acquitter », a indiqué le capitaine Thiao.
‘’Quant aux personnes appréhendées pour coupe de bois, elles sont directement sanctionnées’’, a-t-il poursuivi, rappelant que la coupe de bois est interdite à l’intérieur de la forêt. ”Seul le ramassage de bois mort est autorisé dans la forêt par la loi’’, a-t-il précisé, avant d’improviser avec ses éléments, un exercice de simulation d’une opération de ronde habituelle dans le cadre de la surveillance de cette aire protégée.
« Ces rondes sont effectuées chaque jour par des équipes pour lutter contre la coupe de bois, l’extraction du sable dunaire, mais également sécuriser les populations environnantes de la forêt classée de Mbao », a-t-il expliqué.
« De jour comme de nuit, nous veillons à la préservation de cette forêt grâce à un dispositif sécuritaire en place », a-t-il encore souligné, ajoutant que la gendarmerie, la police et les douanes participent aussi à la sécurisation des alentours de cette forêt amputée, au fil des années, de près d’une centaine d’hectares.
D’une superficie initiale de 808 hectares, la forêt « n’en compte plus que 722 hectares, soit 86 hectares amputés à des fins de réalisation de grands projets de développement de l’Etat et d’autres usages », a dit le capitaine Antoine Thiao.
Aujourd’hui grâce à des partenaires, « une clôture a été érigée sur tout le périmètre de la forêt classée pour protéger son périmètre actuel et limiter son exposition aux convoitises des promoteurs immobiliers, des riverains et exploitants clandestins de sable dunaire », a salué le chef secteur des eaux et forêts de Pikine.
Située dans la région de Dakar, une portion du territoire national qui abrite 25% de la population sénégalaise, soit plus de 5 millions d’habitants, une densité de pas moins de 5500 habitants au kilomètres carrés contre une moyenne nationale de 80 habitants au kilomètres carrés, la forêt est également fortement impactée par l’urbanisation galopante, selon le colonel Sidiki Diop, coordonnateur du projet de mise en œuvre du plan d’aménagement de la forêt classée de Mbao.
Avec 90% des installations industrielles et plus de 350 000 véhicules immatriculés par an à Dakar, a-t-il signalé, ”l’Etat est obligé de trouver des solutions qui malheureusement passent impérativement par la forêt classée de Mbao », située à l’entrée de la capitale.
« De par sa situation géographique, forcément l’Etat et les populations vont émettre des pressions maraîchères et foncières sur cette forêt classée », a-t-il relevé, réitérant que l’Etat n’a d’autres options que de passer par cette forêt urbaine pour réaliser ses grands projets d’envergure destinés à améliorer la mobilité à Dakar.
« Parmi ces projets d’envergure, il y a l’Autoroute à péage et le Train express régional (TER) », a-t-il cité.
Le colonel Sidiki Diop a indiqué que l’Autoroute à péage a amputé la forêt de 5,5 kilomètres sur 60 mètres de large. « Tous les arbres qui étaient sur l’itinéraire de ce tronçon routier ont été coupés », a-t-il déploré.
« Cette forêt, a-t-il poursuivi, fait aussi l’objet de convoitises et de pression de la part des maraîchers, des sans-emplois alors qu’on n’a pas tous les moyens d’assurer sa surveillance totale ».
Il a souligné que les agents ont une très bonne volonté, mais elle ne règle pas tous les problèmes de conservation de cette aire protégée. Selon lui, « l’Etat doit dégager des moyens nécessaires et recruter assez d’agents pour sécuriser cette forêt qui assure des services écosystémiques extraordinaires à Dakar ».
« Aujourd’hui, tout le monde est d’accord que ce poumon vert de Dakar permet d’absorber le gaz carbonique issu des émissions de véhicules, à l’origine des changements climatiques. Et donc, si elle disparaît, il y aura des conséquences environnementales sur les populations de Dakar, notamment avec plus de récurrence des vagues de chaleur et des inondations », a-t-il prévenu, admettant qu’il n’y a pas « 9 0000 » solutions à ce problème.
« L’unique solution, est de préserver cette forêt, ce poumon vert qui fixe le CO2 atmosphérique grâce à la photosynthèse », a martelé le colonel Diop.
Confrontée à des difficultés pour assurer la protection et la sécurisation entière de la forêt classée de Mbao contre les multiples agressions anthropiques, la direction des eaux et forêts, chasses et conservation des sols, a fait appel à des partenaires dont le centre équestre Racing club de Dakar.
Aménagé sur 5 hectares dans la forêt, ce centre de retrouvailles et d’activités sportives a été installé dans le cadre d’une collaboration avec le secteur départemental des eaux et forêts de Pikine.
Un centre équestre à l’intérieur de la forêt classée de Mbao
Le service des eaux et forêts a confié la gestion d’une partie du domaine au centre équestre Racing club de Dakar.
Dès l’entrée du site, le visiteur est attiré par le défilé de plusieurs races de chevaux. Logé dans la forêt depuis 1987, le Racing club de Dakar compte une centaine de chevaux.
Il offre des formations aux jeunes, aux personnes âgées, et aux agents des eaux et forêts sur les techniques d’approches, de connaissances, d’entretiens des chevaux et surveillances de la forêt.
Dans cette écurie, il y a « baby girl », une grande jument allemande âgée de 5 ans.
« On a eu le site en relation avec les eaux et forêts. Et le fait qu’il y ait des chevaux ici, c’est un gage de préservation de cette forêt. Notre présence permet de stopper les ventes illicites de terrains de la forêt par des promoteurs véreux », a expliqué Samba Seck, copropriétaire du site.
« Si vous regardez les alentours de la forêt, les promoteurs ont réussi à tout vendre. Mais notre présence a permis de préserver cette partie de la forêt où nous sommes », a-t-il ajouté, relevant que ce centre participe aussi à la préservation de la forêt en prenant part à des campagnes de reboisement organisées, chaque année, avec l’aide des populations.
« Cette forêt-là, si nous ne la préservons pas, elle va disparaître. Exceptée celle de Hann-Maristes, c’est la seule qui reste à Dakar, nous avons l’obligation de la préserver », a plaidé M. Seck, saluant l’étroite collaboration avec les eaux et forêts et les populations dans la préservation de cette aire protégée urbaine.
Le centre équestre milite pour la préservation de la forêt classée de Mbao
Outre le centre équestre, le service départemental des eaux et forêts de Pikine mise également sur les populations riveraines, les groupements féminins pour préserver et valoriser cette forêt classée en leur permettant d’en tirer des revenus.
Ce plan d’aménagement de la forêt classée de Mbao, datant de 2008, a été financé par l’Agence pour la promotion des investissements et des travaux (APIX), a indiqué le colonel Sidiki Diop, coordonnateur du projet de mise en œuvre du plan d’aménagement de la forêt classée de Mbao.
Il a pour but d’organiser et valoriser cette aire en s’appuyant sur les groupements féminins et les populations riveraines.
Sur un financement de 4 milliards de francs CFA prévus, seuls 700 millions de francs CFA ont été mobilisés pour ce plan qui fait partie des mesures compensatoires retenues contre les agressions subies (extraction du sable dunaire, coupes de bois, autoroute à péage, Train express régional) par la forêt.
Il a appelé à réviser ce plan d’aménagement qui date de 2008, c’est à dire avant la réalisation de l’autoroute à péage et du TER.
La sécurité des alentours de la forêt et sa valorisation économique demeurent aussi une affaire des populations constituées en unités de veille contre les menaces dont les feux de brousse. Elles alertent les autorités des eaux et forêts en cas de problème.
Marie Mbaye, présidente du groupement des femmes maraîchères de Fass Mbao, a expliqué qu’elles travaillent dans cette forêt pour gagner leur vie mais aussi contribuer à sa préservation.
« Nous travaillons dans cette forêt pour y gagner notre vie tout en participant à sa préservation. En cas d’incendie tous les groupements se mobilisent pour éviter des dégâts et des pertes », a-t-elle dit, rapportant qu’un feu s’était signalé obligeant les femmes à se mobiliser pour arrêter sa propagation.
Des jardins dédiés au maraîchage dans la forêt classée
Ces jardins appartiennent à des coopératives de femmes et d’hommes qui s’adonnent à des activités agricoles et maraîchères parfois illégales.
Dans le jardin aménagé par les membres de l’union des femmes pour le développement endogène de Kamb (UFDEK), se trouve une grande parcelle agricole de 2 hectares avec une pancarte sur laquelle on retrouve des informations relatives à ce groupement de femmes.
Une vue panoramique des champs s’offre aux visiteurs avec diverses productions : salade, oignon, fromager, cerisiers, etc.
Selon la présidente de l’association, Binta Wane, ce jardin a été aménagé depuis 2005 avant d’être cédé à l’UFDEK pour y faire des activités champêtres.
« Au départ, l’UFDEK comptait 44 femmes. Elle a commencé ses activités avec un capital de 6 500 FCFA sur une surface de 500 mètres carrés », a expliqué Mme Wane, relevant qu’au bout de 8 mois, des recettes de l’ordre de 800 mille FCFA ont été réalisés sur 2 hectares aménagés avec l’appui de l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et la direction des eaux et forêts.
L’ingénieure des eaux et forêts, la sous-lieutenant, Fatou Gaye, membre de l’unité de gestion du plan d’aménagement de la forêt classée, a expliqué que ces activités maraîchères ont été initiées grâce au projet d’aménagement.
« Au moment de réaliser l’autoroute, une étude environnementale et d’impact social, financée par l’APIX et la banque mondiale, a été diligentée sur ce qui reste de cette forêt classée de Mbao. C’est la raison pour laquelle, on a fait une cogestion, avec les femmes », a-t-elle expliqué.
S’agissant de la surveillance, elle a indiqué que huit comités de surveillance villageois composés de 15 membres par village, ont été créés.
La sous-lieutenant Gaye a indiqué que les femmes productrices bénéficient d’un encadrement pour faire un maraîchage expansif destiné à améliorer leurs revenus.
Cet accompagnement des femmes et des hommes s’effectue à travers des formations, des renforcements de capacités et autres activités, a-t-elle fait valoir, relevant que tout ce qui est usage de pesticides et insecticides est interdit dans la forêt, au profit du compostage, d’une agriculture biologique de préférence.
Une pépinière de production de plants destinée à pérenniser les forêts du pays
La forêt classée de Mbao abrite une grande pépinière de 4,6 hectares. Dès l’entrée, on aperçoit des petits palmiers dans des bocaux plastiques de couleurs noires ou bleues, des avocatiers, des anacardiers et autres plantes, destinés au reboisement des forêts du pays et des artères.
Réalisée en 1993, dans le cadre de la coopération japonaise, la pépinière produit annuellement 300 mille plants. Exceptionnellement, elle en a produit autour d’1 million 50 000 mille plants en régie ou en privée en 2023.
Grâce à cette pépinière à vocation régionale et nationale, les eaux et forêts organisent chaque premier dimanche du mois d’août, une campagne de reboisement, dans la forêt et dans toutes les régions du pays, a expliqué l’adjoint au responsable de la pépinière, Ousmane Badji.
« La distribution des plants d’arbres ne se limite pas seulement au département de Pikine. Elle s’étend sur tout le territoire national pour permettre aux populations de participer au reboisement », a-t-il ajouté, précisant que la pépinière produit presque toutes les espèces forestières. Il a insisté sur l’importance de sensibiliser la population sur la préservation de la forêt classée.
Avec APS